Caroline Goldman, docteure en psychopathologie clinique (Paris 5 Descartes), psychologue pour enfants
Drôle d’histoire
L’expérience que nous vivons est inédite, en particulier avec de jeunes enfants. Les inquiétudes (économiques, de santé) nous habitent, et il est difficile d’occulter ces soucis lorsque nous nous occupons de nos petits. Chaque parent se voit subitement forcé de remplacer ce qui constituait, il y a encore une semaine, tout
leur monde (école, copains, activités physiques et intellectuelles, jeux…) et réceptionnait donc une grande partie de leurs investissements. Nous redevenons leur « tout », comme lorsqu’ils étaient bébés. Mais en avons-nous encore l’énergie ?
Poser un état d’esprit
Soyons ambitieux et envisageons que parents et enfants fassent mieux que survivre à ce confinement : qu’ils tirent profit de l’expérience.
Tout d’abord, n’hésitez pas à leur glisser ce message fondamental : « les enfants, nous allons vivre un moment particulier, pas prévu, peu confortable, mais on est certain(s) que ce sera bien, parce que ce sera avec vous. On vous aime si fort qu’on pense possible de transformer ces vacances obligatoires en un super souvenir ! ». Cette déclaration ne sera évidemment pas parfaitement honnête, parce que nous naviguons en réalité tous à vue et nous attendons en toute logique à quelques remous en chemin (surtout si celui-ci s’allonge). Mais entendre cette prédisposition parentale leur fera, de toutes façons, chaud au cœur, et constituera pour eux un souvenir précieux et très structurant, pour longtemps (il véhiculera l’idée qu’avec de l’amour et de la bonne volonté, on peut s’en sortir).
Ensuite, ayez à l’esprit que le bien-être des enfants est tributaire du bien-être des parents. Les parents heureux font des enfants heureux. Les enfants sont de véritables éponges, hyper connectées à nos humeurs et nos états d’âme, et c’est en tout premier lieu par ce filtre qu’ils abordent l’existence.
Donc préservez-vous : votre humeur est un « bien commun » ! Ne vous frustrez pas trop, ménagez des espaces de plaisir pour vous-mêmes, ne vous transformez surtout pas en professeurs d’école qui évaluent et qui grondent. Les enseignants mettent d’ailleurs en garde contre les risques d’accabler les enfants de devoirs supplémentaires. Il faut préserver la parentalité, ce lien d’amour tellement irremplaçable nourrissant l’intime, permettant l’abandon de tous les vernis et de toutes préoccupations de rendement.
Un premier mot d’ordre : la transmission
Je conseille aux parents de créer un planning avec des horaires consacrés aux apprentissages et aux temps libres : les enfants en sont très demandeurs, cela structurera leurs journées et aidera aussi les parents à faire respecter leurs instructions.
Faites-les lire (ce qu’ils souhaitent : il n’y a pas de mauvaise lecture), et découvrir des supports artistiques (musiques, films, bandes-dessinées, pièces de théâtre, cirque, concerts, opéra…) au gré de vos plaisirs. C’est vraiment l’occasion de leur faire découvrir des voyages culturels que vous avez aimés, y compris lorsque vous étiez enfants !
Affiliez-les également à vos savoirs-faire. Vous étiez doués au Scrabble ? N’avez pas ressorti votre violon lui-même confiné à la cave depuis des lustres ? Avez un jour envisagé de faire de la pâtisserie ? Faites-leur découvrir vos passions passées ou actuelles, ce sont bien souvent ces inspirations parentales qui deviennent les tremplins des plus grands destins infantiles !
Plus largement, transmettez-leur ce que vous ne preniez pas suffisamment le temps de faire avant le confinement. Dansez et chantez avec eux (pas trop fort, pour les voisins !), ouvrez les albums photo, parlez-leur de vos aïeux communs, racontez-leur des anecdotes sur chaque membre de la famille (par exemple votre meilleur et votre pire souvenir avec chacun), etc…
Profitez aussi de ce temps ensemble pour les stimuler (sur des temps courts et de façon aussi ludique que possible) dans les secteurs où ils sont un peu en retard… nous parents possédons souvent les outils et les compétences pour les faire avancer mais ne trouvons pas toujours le temps et le courage de nous y consacrer, notre énergie étant quotidiennement avalée par nos tâches professionnelles et d’intendance… ce contexte où tout un temps et toute une énergie psychique vont se libérer pourra être l’occasion de reprises en main des chantiers en cours, de remises à niveaux… souvenez-vous des progrès impressionnants de vos enfants en deux mois de vacances familiales chaque été !
L’écran n’est pas une fatalité si les programmes sont sélectionnés et si les enfants sont bien stimulés par ailleurs (par des moments de rires partagés, de tendresse, d’échanges verbaux…)… Laissez-les accéder à leurs amis sur les réseaux sociaux mais pendant un temps délimité (par exemple 1h par jour vers 8 ans et 3 x 1h à l’adolescence…).
Et si on soignait ?
Le psychologue pour enfants a l’habitude de rencontrer deux grandes problématiques chez les enfants, qui pourraient se voir endiguées par ces semaines de confinement avec l’aide thérapeutique des parents. Les voici résumées :
– Les enfants déprimés, qui sont en manque d’affection. Certains d’entre eux voient trop peu leurs parents pendant l’année (parce qu’ils travaillent beaucoup et rentrent tard le soir, ou bien parce qu’ils fonctionnent de façon un peu opératoire, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas appris à être démonstratifs, à faire circuler les confidences, à exprimer leur tendresse…).
Ces enfants sont tristes, repliés, ils ne sollicitent pas la relation car craignent qu’on la leur retire et de souffrir encore plus, ils peinent à désirer et à se réjouir : rien ne semble jamais leur faire plaisir…
… Pour ces enfants, le confinement pourra constituer une opportunité formidablement thérapeutique de rapprochement nourrissant avec leurs parents soudainement rendus bien plus disponibles. Je conseille à ces derniers de suivre toutes les idées
d’enveloppement et de partage évoquées ci-dessus, mais également de veiller à faire cesser tous les reproches et tensions relationnelles dans la famille, de ne pas s’énerver autour des devoirs, de leur sourire et les faire rire autant que possible, de ritualiser des câlins, des chatouilles (qui constituent une sorte de bouton magique actionnable à tout moment pour faire rire un enfant, indépendamment de tout scénario relationnel : ne nous en privons donc pas !), de proposer plus d’activités qui leur plaisent et de plaisirs (jeux, copains au téléphone, desserts gourmands…), d’interroger régulièrement ce qu’ils éprouvent et accueillir leurs confidences avec tendresse, sans leur faire regretter de les avoir partagées (les confidences doivent mener à la construction de l’intimité familiale, elles doivent par conséquence être bien traitées !). Si les émotions sont difficiles à aborder pour certains parents, ils pourront s’aider de livres à découvrir ensemble (pour les plus jeunes, par exemple : « Parfois je me sens… » d’A. Browne ; « Aujourd’hui je suis… » de J. Duteil ; « Le temps des émotions » de J. Belaval ; « À l’intérieur de moi » d’A. Gaud, etc. Puis à partir de 6 ans, par exemple : « contes pour grandir de l’intérieur » de Jacques Salomé).
– Les enfants trop excités, qui appellent des limites éducatives jusqu’ici insuffisamment posées par les adultes qui les entourent. Il y a souvent, dans ces configurations familiales, des mères portant seules le quotidien, et des pères (ou toute autre personne investie à la fois par la mère et auprès de l’enfant) ayant manqué dans leur fonction d’autorité contenante. Il faut aussi dire que les parents d’aujourd’hui ont tendance à s’interdire d’écouter leur bon sens éducatif et se voient menottés dans leur instinct répressif par le courant de l’éducation positive , très médiatisé, qui répand l’idée saugrenue que tout interdit pourrait créer chez l’enfant un traumatisme définitif… la psychologie de l’enfant palpe de plus en plus les conséquences de cette idéologie dans les cabinets de consultations.
Ces enfants présentent une grande excitation, un refus de l’autorité, une intolérance à la frustration, ils parlent ou s’agitent sans pause, sont pénibles à table, font trop de bruit, râlent pour rien, imposent leur mauvaise humeur, n’obéissent pas aux instructions ou les font traîner, sont irrespectueux, agressifs, utilisent des violences verbales voire physiques, un ton inapproprié, adressent des reproches injustifiés, des sollicitations harcelantes (exigences d’achats…), sur-réagissent à tout, imposent une extrême amplitude émotionnelle, se victimisent (ex : « vous ne m’aimez pas »)… ce qui génère des conflits quotidiens, une tension permanente, des cris, le rejet des frères et soeurs, et une triste rancœur mêlée de culpabilité chez les parents…
… Pour ces enfants, le confinement fait l’effet de braises jetées sur le feu ! Le risque de la promiscuité étant en effet de laisser cette simple quête de limites avoir le pouvoir terrible d’envahir et de dégrader l’atmosphère familiale toute entière… alors qu’elle ne demande qu’à être arrêtée ! Elle devra donc impérativement être identifiée et traitée comme telle, afin de mettre les parents (et en particulier le père) « au travail » de façon efficace pendant ces journées de confinement.
Concrètement, je leur conseille une unique méthode qui leur permettra de ne pas se laisser eux-mêmes déborder. Nous pourrions l’appeler : « confinement dans le confinement ! ». En voici les grands principes :
1/ rester stoïques et extrêmement fermes face à leur enfant désobéissant (comme des girafes inatteignables observant une fourmi immature et excitée ne sachant pas encore se réguler et réclamant un tuteur pour pousser bien droit !) 2/ lui expliquer brièvement l’interdit (pas plus de trois fois : ensuite cette répétition sera inutile car la raison échoue assez immanquablement à freiner les pulsions ) puis le prévenir que s’il recommence, il sera sanctionné 4/ s’il continue à désobéir, l’exclure immédiatement dans sa chambre ou toute autre pièce éloignée de l’espace commun (avec livres et jeux mais sans écran), en n’entrant dans aucune justification ou débat (« tu feras comme tu voudras quand tu seras papa/maman, pour le moment c’est nous qui décidons ») et en économisant les mots. Fermer la porte (jamais à clef : c’est le regard parental, ferme et décidé, qui devra ici faire office de clef !) et lui interdire d’en sortir (« je viendrai te chercher quand la sanction sera terminée »). 5/ aller le chercher après un temps proportionnel à la transgression (pas plus de deux minutes à deux ans, et jusqu’à trois heures à l’adolescence en cas de violence physique, par exemple), sans effusions ni rancœur (l’enfant devra pouvoir se ré-affilier à une atmosphère relationnelle positive, à tout moment). 6/ recommencer autant de fois qu’il le faudra, y compris avec les autres enfants de la fratrie (s’ils ont plus de deux ans).
Ce système permet aux enfants de recevoir les limites qu’ils appellent, de façon respectueuse pour leur intégrité physique et psychique. Peu à peu, cette mise à l’écart temporaire et salutaire pour maintenir le calme à la maison, leur permettra de réussir à freiner leurs premiers instincts et ils seront extrêmement fiers de parvenir à mieux s’ajuster aux autres.
Conclusion
Un psychologue recommandé par bouche à oreille pourra être sollicité en cas de besoin (de nombreux collègues proposent actuellement des consultations en ligne). Une intimité familiale heureuse permet de tout traverser plus sereinement. Et l’ ordre permet à la tendresse de mieux circuler. L’enfance est sacrée car irremplaçable. Mettons à profit ce confinement pour mieux rencontrer nos enfants.
Caroline Goldman, docteure en psychopathologie clinique (Paris 5 Descartes), psychologue pour enfants, enseignante à l’université et formatrice, auteure d’ouvrages en psychologie de l’enfant dont « Établir les limites éducatives : év aluation, diagno s tic, action thérapeutique », éditions Dunod, 2019.
(Cet article paraîtra le 27/03/20 dans « Salto », revue gratuite de sport pour les enfants : https://www.saltomag.com)